Conférence d’Albert Jacquard, 12 avril 2010
(les phrases en italiques sont des précisions ou des commentaires que j’ai ajoutés … NV)
Distinction reproduction-procréation : Il n’y a pas de « reproduction humaine », chaque être est entièrement nouveau. C’est un INDIVIDU (« indivis »/ indivisible). C’est la compréhension moderne du mécanisme de la procréation qui permet de saisir ce concept de nouveauté, d’unicité de l’être humain : idée de tirage au sort, de hasard.
Cet être est RESPECTABLE. Problème : Quand le devient-il ? Au nom de quoi l’est-il ?
Les gamètes n’ont aucune valeur éthique, l’enfant qui nait en a une. (Il a une « dignité », il est une « personne », une « fin » et non un simple « moyen » : KANT)
Cette dignité lui vient de la « RENCONTRE » avec sa mère.
(Problème ! Si la dignité provient de ce lien affectif crée par la relation avec la mère, on a affaire à ce qu’on appelle une « morale du sentiment » càd que c’est le sentiment qui est à l’origine de la valeur. Or par définition le sentiment est relatif à la culture, au fait que la mère peut ne pas se sentir ou se vouloir mère. Cela signifierait-il alors que la dignité du bébé serait variable, parfois inexistante – cas de l’enfant non désiré- … C’est pourquoi au 18ème siècle, Kant affirmera que la morale ne peut pas être fondée sur le sentiment mais sur la raison : le vrai respect ne peut pas être relatif mais doit être absolu …). En fait ce problème de la dignité est un problème crucial en morale et notamment pour la bioéthique … il ne se règle pas aussi facilement …
Cet être est respectable non pour des raisons biologiques mais parce qu’il est doué d’INTELLIGENCE. Cette intelligence se développe par des rencontres, des échanges, le langage : C’est la construction permanente d’une intelligence collective. L’humanité a cette capacité de créer des contacts et des se créer elle-même par des contacts.
Le problème : comment mettre en place une société qui facilite ces contacts, ces rencontres ?
Le but de L’EDUCATION, de L’ECOLE c’est justement d’organiser ces rencontres, de découvrir des concepts qui sont communs à différents domaines de la pensée. Ainsi le concept d’indécidabilité qui est un concept mathématique mais aussi un concept moral.
(Exemple : en sciences et en particulier en mathématiques, on croit souvent qu’une proposition ne peut être que vraie ou fausse. La conjecture du mathématicien allemand GOLDBACH montre qu’une proposition peut être constatée mais non démontrée (« tout nombre pair (sauf 2) est la somme de deux nombres premiers », ex : 32 = 13+19. Lettre à Euler 1742, il n’y a pas de contre-exemple à ce jour – cf sujet de philo : « peut-on tout démontrer ? »-)
La science réinvente le réel : càd qu’elle invente de nouveaux concepts (ex : le concept de « masse » Galilée, concept d’ « infini ») qui permettent de se faire une nouvelle représentation du réel.
L’EDUCATION doit prendre en compte le caractère unique de l’élève. Distinction entre EMULATION et COMPETITION.
Condamnation de la notion de compétition qui est destructrice. Attribuer des notes, établir des palmarès sont des erreurs qui conduisent à stigmatiser les échecs, à réduire les élèves à leurs « défauts ». Dénonciation du respect abusif du concept de nombre (la « note »).
Le nombre est réducteur. Seule l’analyse des erreurs, l’entraide, l’émulation peuvent avoir des effets bénéfiques sur les élèves.
Une bonne note ne m'apprend rien, une mauvaise m'informe en revanche sur ce que je maîtrise mal : en ce sens la mauvaise et plus utile que la bonne : Comme le dit aussi Bachelard, ce sont les erreurs (comme dans l'histoire des sciences) qui nous aident à progresser.
Cette réflexion sur la notation est loin d’être isolée, elle fait écho aux travaux de sociologues (N. Bavoux), d’associations, de professeurs (André Antibi, prof de maths à l’université de Toulouse et chercheur en didactique, qui a crée le concept de « la constante macabre ») ainsi une vingtaine de personnalités, tels Daniel Pennac, Marcel Rufo ou Richard Descoings –directeur de Sciences-Po Paris-, appellent à signer une pétition pour la suppression des notes à l’école élémentaire.
La conception d’A. Jacquard sur l’éducation est à retrouver dans un petit livre disponible au CDI : Une éducation sans autorité ni sanction ? (2003)